Cette semaine j’ai travaillé deux jours à Paris chez Sungard. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est un hébergeur (on parle d’informatique, hein, pas d’hôtellerie) qui dispose d’une surface de 300 000m² au travers de 5 sites. Nous y étions avec un collègue pour tester une restauration d’un réseau d’un client. Sungard dispose d’un stock de serveurs, on fait une demande en spécifiant le matériel dont on dispose (configuration matérielle, OS, robot de sauvegarde, réseau…) et ils nous mettent à disposition le jour j un datacenter ainsi qu’une salle avec des pc pour tester l’environnement restauré. Ils sont capables de mettre à disposition une salle de marchés boursiers. Le site est ultra sécurisé et on n’y croise que des admins système de tout âge et de toute nationalité. Et chose qui a le plus marqué mon collègue: le café est gratuit ainsi que les croissants.
Mais ce n’est pas du tout de cela dont je voulais parler dans ce billet. Dans le train du retour, un vieux monsieur monte avec une grosse enveloppe marron qui semble contenir plein de documents. Il la pose sur la tablette du TGV et la surveille avec beaucoup d’attention. Avant que le train ne parte, il est toujours là à la contempler mais aussi à s’assurer que les gens des alentours ne la regardent pas. A ce stade, je pense qu’il s’agit de papiers pour un brevet, une entreprise, une succession avec beaucoup d’argent à la clé.
Pourtant contrairement aux personnes qui ont des documents de travail dans le train, ce vieux monsieur a une lueur gourmande dans le visage, comme si cette enveloppe était l’aboutissement d’un travail acharné et qui lui a demandé des années. Le train s’ébranle et nous sommes partis. Il pose une main sur la grosse enveloppe pour éviter que les secousses du train ne la fassent tomber. Peu de temps après le train ralentit et s’arrête en plein voie. Il semblerait que le train d’avant ait des soucis techniques et que nous soyons obligé de laisser de la distance.
C’est ce moment que choisit le vieux monsieur pour décacheter son enveloppe. Il prend son temps, comme s’il savourait le moment et comme si l’enveloppe était aussi précieuse que le contenu. Le monsieur a une certaine classe, il porte un pardessus et on devine une cravate dépassant légèrement de son costume. Il a les cheveux blanc et tout son visage respire la noblesse, c’est dire, je l’imagine bien avec un monocle.
Très délicatement il extrait le contenu de l’enveloppe et là je suis scotché de surprise. Si je m’attendais à ça, surtout pour un homme de cette classe. Son regard s’illumine, on a presque l’impression qu’il a les larmes aux yeux. Il sort de l’enveloppe le dernier Journal de Mickey, Spirou magazine et plusieurs Picsou magazine. Très délicatement, comme s’il consultait un manuscrit il feuillète les pages, il n’a pas l’air de lire les histoire, il contemple la page dans son ensemble, il a un air ravi.
A ce moment une bouffée d’émotion est montée en moi, je me suis mis à imaginer les raisons qui l’ont privé de ce plaisir durant ces années, à moins que ce soit son fils ou sa fille qui publie sa première histoire, lui qui n’a jamais cru en elle (ou en lui) et qui lui a répété que la bd n’avait aucun avenir, ce qui a nécessairement engendré des disputes et brisé le contact entre eux. Ou alors sa mère lui a toujours interdit ce genre de lecture et là en apprenant son décès, la première chose qu’il a faite a été d’acheter ces manuscrits tabous. Ou alors c’est un collectionneur qui vient de recevoir la toute dernière pièce manquante qu’il a mis des années à chercher.
Rassurez-vous, je vais bien. Cela ne risque pas de m’arriver. Je lis encore très régulièrement le journal de Mickey et Super Picsou géant. Ne le répétez surtout pas autour de vous. Cela m’évitera peut être que ce genre d’histoire m’arrive à moi dans un train au l’automne de ma vie.